dimanche 25 janvier 2009

Le manteau.


Il était las des évènements. La solitude le perforait de doutes inavouables, ce qui l'isolait toujours plus fortement. Sa spirale s'étendait à tout autour de lui. Sa chambre : un bordel où ses objets lui racontaient des délires parfois âgés, mais qui le soutenaient quand le désespoir laissait la place au vide.

Il ébrouait parfois sa vieille carcasse, toute surprise d'être ainsi commandée, et alors, le fol espoir virevoltant derrière ses lunettes scotchées, il ouvrait sa porte et descendait l'escalier de bois craquant sans se retourner, aveuglé, inconscient, rêvant.
Il respira tout de même lorsqu'il franchit le seuil de la pension, mais ne s'en aperçut pas.

Aujourd'hui, c'est son coeur qui voulait respirer. Plein de bonheur, le bonhomme au pardessus gris, épais, ouvert. Il sentait le printemps comme l'affamé rêve, comme l'aveugle imagine, comme le cul-de-jatte croit une course. Il se mit à dire bonjour devant ses dents perdues ou noircies, ou normales, enfin on ne sait pas trop. L'amabilité des gens tamponnés le surprit un peu, à moins que ce ne fut le son de leurs voix. Quand son voisin prit de ses nouvelles, l'expérience se passa si bien qu'il se mit presque à siffler. Mais bon, il ne fallait pas exagérer.
En prenant le vent léger par ses narines poilues, il ne vit rien dans sa tête mais le vent l'enleva. Décidé, il entra dans le café "Aux Travailleurs" et fit attention à ne connaitre personne. Toujours le même problème : on lève la main, ou on serre la main, on discute, ou pas, bref, le social, c'est pas son truc au père Raoul. D'ailleurs, les gens, c'est comme les rêves, ça vient quand on ne les attend pas, ça part souvent comme des cauchemars et en plus, ils ont raison d'autres choses.
Ce qui fait qu'il fut très honoré que sa vieille amie s'installât à sa table avec un grand sourire sans autres pensées derrière ses chicots, lesquels se trouvaient être les perles de l'écrin vestimentaire dans lequel elle s'harmonisait. C'était ce que l'on peut appeler une râleuse. Bonne vivante, certes, mais râleuse, comme d'autres sont greffés et cicatrisés. Ce qui faisait que notre bon Raoul prenait la défense des gens, leur trouvait des circonstances atténuantes, et riait, quand pour un bon mot, il la doublait sur ce terrain.
Les poussières virevoltaient dans le soleil, parfois baignées de fumée bleutée ou d'odeur de bière.
Quand vint l'inconnu, il n'eut plus rien à dire. Quand l'inconnu prit un verre, il y vit une sorte de sablier perpétuel. Son temps devint un espace physique façon herse où il s'encastra. Il se leva pour aller aux toilettes. Il pissa. Son ventre gonflé lui cachait son sexe. Il revint à la table, ne sut plus personne. Voulut s'excuser, du sang qu'il bâchait sur lui, de devoir partir, d'être las et là, dit salut, et s'enfuit de toute sa force, c'est à dire lentement.
Il en tenait encore une bonne, le père Raoul ! Le vieux routard des bars, le professionnel des opinions solennelles, coloriées d'ironie s'il vous plait, le grand chef des ambiances joyeuses et intelligentes.
C'est donc tout destitué qu'il porta son ombre en travers la ville, baissant un peu plus la tête lorsque que quelques éclats arrivaient d'autres ombres. Son manteau lui faisait une tâche salutaire, une épreuve réelle, il disparut une heure, environ.

On revit le manteau près de chez lui, le poing levé au ciel. Les étoiles lui dirent d'aller se coucher. Il cracha par terre et repartit vers la pension.

15/4/98

2 commentaires:

valse a dit…

Joli porte-chapeaux... à tomber patère ! héhé

Tu écri(vai)s "bien", je veux dire crûment et légèrement.

Pixel bleu a dit…

héhé. Merci ;-)